M. l'Amiral Jacques Lanxade




L’appréciation de la situation mondiale et sa vision prospective sont aujourd’hui rendues complexes parce que nous devons prendre en compte à la fois les conséquences de la très grave crise économique et financière que nous subissons et les conflits qui préexistaient à cette crise.
Cette crise entraînera inévitablement une aggravation des tensions actuelles et elle sera, en même temps un révélateur des disfonctionnements qui se sont établis dans le monde depuis quelques années. Elle provoquera, en tout état de cause un changement dans l’ordre mondial, créant ainsi une sorte de rupture avec la situation du passé.
Il est cependant encore impossible de déterminer quelles seront l’ampleur et la durée de cette crise financière, économique et sociale.
L’Europe était avant la crise un espace relativement stabilisé même si des inquiétudes subsistaient tant dans les Balkans que dans l’Est du continent où la transition entre la guerre froide et la période qui lui a succédé n’est pas totalement achevée. La Russie a en effet créé une sérieuse tension dans ses relations avec l’Ukraine et la Géorgie mais elle répondait ainsi à la politique de la précédente Administration américaine qui avait entrepris de déployer en Europe de l’Est un système anti-missile et qui souhaitait un élargissement de l’OTAN jugé provoquant par Moscou.
La Méditerranée demeure elle-même confrontée à la situation créée par le conflit israélo-palestinien et plus particulièrement aux conséquences de la crise de GAZA qui est venue entraver sérieusement le développement, cependant souhaitable, de l’Union pour la Méditerranée. Quant à l’UMA elle reste politiquement bloquée et ne progresse donc pas vers le marché commun qui est une condition du progrès économique de la région.
Plus généralement, je serais tenté de dire, de manière imagée, que le centre géostratégique du monde, qui était situé durant la guerre froide au dessus de l’Atlantique, s’est déplacé aujourd’hui au Moyen Orient mais qu’il pourrait bientôt s’établir dans le Pacifique.
C’est que la principale zone de tension est aujourd’hui à l’évidence celle qui va du Proche Orient à l’Afghanistan. Les crises qui s’y déroulent ne peuvent plus être séparées les unes des autres même si leurs origines sont différentes. Le renforcement de la pression islamiste, la réapparition de l’opposition entre Sunnites et Chiites aggravent une situation largement créée par une politique américaine aventureuse. La menace contre la stabilité du Pakistan s’ajoute dangereusement au retour des Talibans en Afghanistan tandis que le conflit israélo-arabe s’est dramatiquement développé avec l’opération menée par Tel Aviv contre Gaza. Et derrière se profile l’affrontement entre les Etats-Unis, Israël et l’Iran.
Cependant, malgré la crise économique, l’Asie poursuit sa progression Après le Japon, l’Inde et surtout la Chine sont désormais des puissances économiques considérables.
La Chine est d’ores et déjà une super puissance économique et elle se dote progressivement des moyens militaires qui en feront avant peu une super puissance stratégique. Aussi, l’enjeu du futur sera de faire en sorte que la relation entre Beijing et Washington, et plus généralement avec l’Occident, soit fondée sur la coopération et non sur la confrontation. Les schémas de la guerre froide ne peuvent être transposés dans le rapport sino-américain car l’URSS était une super puissance incomplète, sans réelle capacité économique, alors que la Chine est en passe de devenir, une super puissance complète comparable aux Etats-Unis. Dans le système mondialisé qui prévaut aujourd’hui, ces deux états ont partie liée.
Le dernier enjeu mondial que je voudrais citer est celui de la prolifération nucléaire. Nous avions cinq puissances nucléaires, qui sont les membres permanents du Conseil de Sécurité. Il s’y est ajouté Israël, l’Inde et le Pakistan et maintenant sont devant nous les programmes d’armement de la Corée du Nord et de l’Iran.
Cette prolifération est préoccupante car nous ne sommes pas assurés de la pérennité du concept de dissuasion qui jusqu’à présent a prévalu. Le règlement des cas coréen et iranien sera donc d’une extrême importance.

La gouvernance mondiale s’est beaucoup complexifiée depuis la fin de la guerre froide. Aujourd’hui se superposent l’ONU, avec les grandes organisations telles que le FMI, l’OMC et la Banque Mondiale, et les G7, G8 ou G20. Nous avons ensuite les organisations régionales, de diverses natures, telles que l’OTAN, l’Union Européenne, l’ALENA ou le MERCOSUR. Enfin, dans ce jeu de la gouvernance, les pays demeurent des acteurs importants.
Cette complexité doit être prise comme une donnée et elle répond à la complexité de l’ordre international qui résulte de la mondialisation.
Il faut donc s’attacher à gérer ce nouvel ordre en utilisant à chaque fois les organisations les mieux adaptées. Et, dans cette perspective nous ne devons pas hésiter à ajouter à cet ensemble une nouvelle structure qui serait ouverte à tous les riverains de l’océan atlantique.

En conclusion je voudrais dire que la crise économique et financière, dont nous ne savons pas aujourd’hui quelle seront sa durée et son ampleur, devrait avoir de très nombreuses conséquences dont les plus importantes me paraissent être les suivantes:
- la stabilité interne de nombreux états pourrait être gravement affectée, notamment en Afrique subsaharienne et les difficultés internes pourraient déboucher sur des conflits entre états;
- la menace extrémiste s’accroîtra inévitablement;
- le risque d’un protectionnisme accru demeure très fort et il pourrait se développer beaucoup si la crise devait durer.

Mais il me semble que finalement la conséquence la plus lourde pour le futur sera la venue probable au premier plan de la question monétaire. Le renforcement du rôle de l’euro et l’apparition d’autres monnaies de réserve, comme le YUAN, en mettant progressivement en cause la primauté du DOLLAR, poserait à terme la question du rééquilibrage des rapports de force dans le monde. Un nouvel ordre mondial en résulterait.
Cependant, aujourd’hui, l’existence d’une nouvelle Administration américaine qui parait déterminer à favoriser une approche multilatérale des problèmes internationaux est un facteur fort d’optimisme.

Amiral Jacques LANXADE