M. Grigori Lazarev : GOUVERNANCE LOCALE ET GESTION DURABLE DES RESSOURCES NATURELLES. Une réponse politique commune pour changer un modèle de développement insoutenable

Youssef MAAROUFI

M. Grigori Lazarev : GOUVERNANCE LOCALE ET GESTION DURABLE DES RESSOURCES NATURELLES. Une réponse politique commune pour changer un modèle de développement insoutenable
Cette communication se propose de développer trois points :

1. Nous entrons dans une crise écologique globale
2. Nous devons apporter une réponse globale à une crise globale
3. La gouvernance locale est l’une des grandes réponses possibles à cette crise globale

Elle se conclut en indiquant quelques pistes pour des actions communes dans l’espace atlantique.

I. Vers une crise écologique globale

1. Les scénarios mondiaux sur le changement climatique montrent tous que le scénario tendanciel (business as usual scenario) conduit à un état du monde insoutenable. C’est ce que démontrent les études scientifiques et stratégiques les plus notables, par exemple :

• Le “Millenium Ecosystem Assessment : Ecosystems and Human Well-Being, Our Human Planet (2005). (Etude du Secrétariat des Nations Unies)
• Le rapport du GIEC, Panel Intergouvernemental sur le Changement climatique
• L’étude du Center for Strategic and International Studies, CSIS (“Age of Conséquences, Washington, 2007)
• L’étude prospective Agrimonde (INRA/CIRAD, France, 2009

2. Notre modèle de développement et les aspirations des pays en développement pour un bien être matériel comparable à celui des pays de l’OCDE ne correspond ni aux ressources de la planète, ni à la demande d’une population qui augmentera de 50 % d’ici 2050 (de 6 à 9 milliards d’individus). Notre modèle de développement pourrait s’écrouler. La crise financière et économique que nous vivons nous en a montré la fragilité.

3. Le changement climatique achemine le monde vers le pire des scénarios :

• Le scénario modéré du GIEC est désormais inéluctable (le GIEC, soumis aux critiques des sceptiques, a adopté une position conservatrice)

• Les connaissances scientifiques, les mesures s’améliorent de façon continue. Elles montrent que la détérioration est encore plus forte que ne l’a estimé le GIEC et que les facteurs de risques se sont accentués (fonte des glaces arctiques, émissions de méthane du permafrost, dilatation thermique des océans, etc.)

• L’objectif modéré de Kyoto d’un plafond de 550 ppm de CO² est en train d’être dépassé. Celui de 450 ppm est devenu illusoire. De nombreux scientifiques montrent qu’un scénario optimiste de réduction des émissions de gaz à effet de serre pourra difficilement empêcher une stabilisation autour de 650 ppm. Selon le GIEC, avec une telle concentration la température moyenne du globe augmenterait de 3,2 à Près de 5 degrés.

• Jamais dans l’histoire mesurable du climat terrestre (environ 800 000 ans) la terre n’a connu une telle augmentation dans un laps de temps aussi court. Tous les scénarios montrent que la situation serait ingérable et que c’est l’existence même de l’homme sur terre qui serait menacée.

• Selon l’Institut Goddard, de la NASA, la concentration de CO² dans l’atmosphère ne devrait pas excéder 350 ppm pour stabiliser le changement climatique. Cela signifierait une réduction des émissions, d’ici 2050, de 80 % par rapport à 1990.

4. Les pénuries alimentaires, les risques de famines et d’instabilité politique qui résulteront de cette évolution constitueront un facteur majeur d’insécurité.

• Le réchauffement du climat, les évènements extrêmes et les sécheresses vont réduire les rendements agricoles dans une grande partie du monde, surtout dans les pays du Sud.

• Des populations considérables vont souffrir du manque d’eau

• L’élévation du niveau des mers et la salinisation vont affecter les littoraux et les grands deltas, menaçant les habitats de régions particulièrement peuplées

• La géographie agricole va se modifier, accusant les inégalités et les écarts entre le Nord et le Sud.

5. Le monde pourrait devenir un monde à risques et un monde instable et conflictuel

• Crises alimentaires (encor accentuées par la compétition des agro carburants

• Extension de la pauvreté et des inégalités

• Diffusion des maladies favorisées par le changement climatique

• Migrations forcées du fait de la désertification ou de la subsidence de nombreuses terres et îles

• Conflits locaux et régionaux du fait de la compétition sur les terres et les eaux

• Crises sociales et accentuation des replis ethniques

• Multiplication des Etats défaillants

• Extension des espaces de non droit et de criminalité

II. Une réponse globale à une crise globale

1. Seule une réponse globale peut éviter ou atténuer les risques de cette évolution du monde.

• Les négociations sur le climat ne peuvent pas se limiter aux émissions de carbone. Elles doivent prendre en compte la crise écologique globale. Elles doivent aussi poser les problèmes de la dégradation des sols, de la destruction de la biomasse forestière, de l’épuisement des ressources en eau, de la perte de biodiversité.

• On reconnaît aujourd’hui que les crises de l’environnement, de l’énergie, de l’économie et de la sécurité alimentaire sont les composantes interdépendantes d’une seule et même crise globale dont la maturation tend à s’accélérer dangereusement. Ces interrelations, bien que souvent affirmées dans le discours politique, ne se traduisent pas encore dans les stratégies internationales qui demeurent trop fragmentées selon leurs objectifs propres. Les gouvernements doivent prendre conscience de l’exigence d’une nouvelle gouvernance mondiale. Mais celle-ci serait insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’une nécessaire responsabilisation collective.

• Une stratégie de sauvetage impliquerait, tout à la fois, une réduction des émissions de carbone, une politique de population pour endiguer l’a progression démographique (la transition démographique actuelle est insuffisante), la lutte contre la pauvreté, la restauration des sols, des forêts et des aquifères, des stratégies d’adaptation pour assurer la sécurité alimentaire su monde.

2. La crise financière et économique est venue au bon moment. Avec soudaineté, elle a montré aux sociétés développées, mais aussi aux pays pauvres qui en sont les victimes, que notre modèle économique pouvait s’écrouler. Le monde a pris conscience de la fragilité du système économique et de l’irrationalité de notre mode de consommation. Une exigence de gouvernance mondiale se fait de plus en plus pressante. Des mesures de régulation et d’intervention des Etats, inimaginables il y a encore peu de temps, ont été mises en œuvre ou font l’objet de discussions sérieuses. On envisage de nouveaux rôles pour le FMI, la Banque Mondiale, les organes internationaux de régulation financière. Des progrès peuvent être envisagés, en dépit des réactions égoïstes des gouvernements, des tendances protectionnistes.

3. La crise écologique n’a pas la même soudaineté qu’une crise financière mais les réponses à lui apporter ont un même fondement, celui d’une responsabilisation collective et d’une meilleure gouvernance mondiale, celui aussi d’une transformation de notre système de production et d’un changement profond de nos modes de consommation. La crise écologique est une bombe à retardement. Il faut agir vite pour l’anticiper. Le monde est en alerte rouge. On se remet d’une crise financière mais la crise écologique qui nous menace ne nous donne pas de seconde chance. Un nouvel ordre économique est indissociable d’un nouvel ordre écologique.

4. La réponse globale à la crise écologique implique de multiples mesures

• Pour réduire les émissions de carbone
• Pour discipliner et réguler le mode de gestion des terres et des eaux
• Pour développer les énergies alternatives
• Pour adapter l’agriculture au changement climatique et intensifier la production sans détruire les ressources naturelles
• Pour changer les modes de consommation alimentaire
• Etc.

5. La convergence de la crise environnementale et de la crise économique crée, paradoxalement, des opportunités inédites pour effectuer des changements économiques, technologiques, sociaux et politiques trop longtemps différés. Elle crée des conditions favorables pour la mise en œuvre d’une stratégie globale. Mais celle-ci n’aura de chances de se réaliser que dans la mesure où l’on pourra mettre en place des formes de gouvernance susceptibles d’engager, de façon responsable, tous les acteurs, que l’on sera capable de réorienter les investissements et que l’on pourra mobiliser de nouvelles ressources pour aider les pays en développement.

III. Une réponse locale à une crise globale

1. Le combat pour adapter les activités des populations au changement climatique et pour en atténuer les effets concerne des superficies considérables, des millions de km², il est ainsi un combat contre l’espace. Il est aussi un combat contre le temps car les points de non retour se rapprochent. Mais il est surtout un combat avec les nombres. Aucune stratégie globale en effet ne peut être envisagée si elle n’est pas mise en pratique par les milliards d’êtres humains qui vivent dans les régions rurales de la planète. Les stratégies, techniquement possibles, n’ont de chances de réussite que si ces milliards d’êtres humains apprennent à gérer durablement les ressources en terres et en eau des écosystèmes, que s’ils adoptent d’autres pratiques de production agricole, d’autres technologies énergétiques, que s’ils transforment leurs modèles de consommation, Cette réponse pourrait réduire le nombre des êtres humains menacés par les migrations environnementales.

2. Des changements aussi profonds ne sont possibles que s’ils prennent appui sur le partage, à une échelle immense, d’une même perception de l’intérêt et de la responsabilité collective. Ils ne sont possibles que si cette perception collective se traduit en millions de décisions décentralisées et participatives. Or cela n’est envisageable qu’avec des progrès de la démocratie, qu’avec des formes de gouvernance fondées davantage sur l’équité et l’éthique, qu’avec des systèmes politiques qui donnent une voix aux populations locales les plus vulnérables. Ce constat suggère que la “bonne gouvernance” est la clé du combat pour la défense de l’environnement.

3. La gouvernance locale des territoires traduit la relation entre les acteurs et leur espace social et biophysique. Ses progrès et sa pertinence constituent une réponse politique aux défis écologiques et à ceux du développement économique qui en dépend. L’amélioration de la gouvernance des territoires locaux se fonde sur une participation responsable des acteurs locaux concernés. Elle repose sur une notion de pacte écologique que l’on associe à l’idée d’une gestion de progrès et de conservation de la biosphère considérée comme un bien public de l’humanité. Cette approche donne tout son sens au concept d’écodéveloppement. Les progrès réalisés dans la gouvernance locale des territoires locaux sont, de ce fait, appelés à être les marqueurs les plus concrets de l’efficacité des réponses données aux défis de l’adaptation au changement climatique, de la lutte contre la dégradation des sols, des eaux et de la biomasse et de ceux de leur gestion durable.

4. Des stratégies d’une telle ampleur exigent des moyens considérables. La solidarité internationale doit d’autant plus se manifester que les pays riches sont les principaux responsables du désastre climatique et que les pays pauvres en sont les principales victimes. Le moment est venu de reconnaître la réelle valeur économique des externalités non marchandes de l’environnement, de donner un coût à sa dégradation et de rétribuer les services écologiques rendus par les agriculteurs, les éleveurs et les forestiers. La maîtrise du bien être futur des populations en développement est à ce prix. L’environnement est devenu un bien public de tout le genre humain. Sa sauvegarde doit nécessairement être solidaire.

5. Le coût de la gestion de la crise écologique pour les gouvernements du monde doit être mis en rapport avec les 1200 milliards de dollars qui sont dépensés annuellement pour les armes et les armées. La défense est certes un impératif des nations. Mais ce n’est pas avec des armes que l’on combat la crise écologique. Notre ennemi est à l’intérieur même de nos sociétés. Notre ennemi, c’est notre incapacité à nous éloigner d’un modèle de développement insoutenable.

IV. Quelques pistes d’action pour l’espace atlantique
Les pays de l’espace atlantique sont tous concernés, bien qu’avec des variations territoriales, par les risques du changement climatique. L’étendue maritime qui les borde tous leur donne une première dimension commune. Le changement climatique est certes un phénomène global qui affecte la totalité de la biosphère. Mais il est également vrai que ses implications ont aussi un caractère régionalisé. L’Atlantique constitue, à cet égard, l’une de ces grandes régions du monde. Le changement climatique dans cet espace ne connaît pas de frontières nationales. Le réchauffement de la mer, la fonte des glaces arctiques, l’élévation du niveau de la mer, la modification des courants marins, l’acidification des eaux résultant de la concentration du carbone, auront des effets communs et spécifiques à l’Atlantique qui affecteront tous les pays riverains.

Les stratégies mondiales pour atténuer les effets du changement climatique n’auront d’effets, dans le monde comme dans l’Atlantique, qu’à très long terme. A l’horizon des deux prochaines décennies, un changement du climat est inéluctable en raison de la longue période de vie des gaz déjà émis dans l’atmosphère. Les écosystèmes connaîtront des transformations importantes, quels que soient le scénario qui se réalisera. Tous les pays riverains de l’Atlantique seront confrontés à leurs conséquences. Les régions littorales seront particulièrement menacées, au Nord comme au Sud, les ressources halieutiques qui constituent l’une des grandes richesses de cette mer, pourront se réduire considérablement. La fréquence des évènements extrêmes rendront la navigation plus difficile ainsi que les risques du transport aérien. Des politiques communes s’imposent pour protéger les littoraux et les îles les plus menacées, pour protéger la biodiversité marine et donner un avenir à la pêche, pour assurer la sécurité en mer. Ces politiques sont coûteuses, elles appellent, au nom de l’intérêt commun pour l’Atlantique, une solidarité du Nord et du Sud. Des réflexions et un travail collectif sur les stratégies et les politiques communes des pays réunis par le même océan, constituent une première piste d’action.

Les changements qui affecteront les milieux marins auront aussi des implications considérables sur le climat des espaces terrestres des pays riverains. C’est en effet à partir des mers que se construisent les flux atmosphériques. Le régime des pluies, leurs excès ou leurs insuffisances, les évènements cycloniques, se forment dans les échanges avec l’océan. La désertification et les sécheresses dans le Sahel, l’Afrique du Sud, le Maghreb atlantique, le Nordeste brésilien, le Mexique ou le Texas ont une même origine dans l’Atlantique. Il en est de même des précipitations qui se transforment en inondations ou des ravages des cyclones. Les pays riverains ont ainsi, en dépit de la diversité de leurs situations économiques, une dépendance commune. Une connaissance scientifique plus approfondie des mécanismes climatiques dérivés de l’Atlantique est un impératif commun. Elle est nécessaire pour mieux identifier les zones à risques et pour pouvoir anticiper les changements et s’y adapter. Cette amélioration de la connaissance commune constitue une deuxième piste d’action dans l’espace atlantique. Elle implique des réseaux communs de scientifiques et des investissements dans la recherche des meilleures politiques d’adaptation.
L’espace atlantique est un espace d’échange, échange des produits mais aussi échange des hommes. Les mouvements migratoires, dans un sens Sud Nord, dans les Amériques ou dans l’ensemble euro-africain, sont une caractéristique forte de la démographie des pays atlantiques. Ces mouvements risquent de s’amplifier avec la dégradation des milieux productifs du Sud. L’intérêt des pays du Nord, qui ne pourront pas absorber l’énorme masse des migrants environnementaux, est, sans nul doute, d’aider les pays de départ à mieux s’adapter au changement climatique, à intensifier leur agriculture, à protéger les écosystèmes qui sont essentiels pour la biosphère, à mieux s’urbaniser, à adopter des éco technologies nouvelles, etc. Il y a là un immense champ de travail pour identifier des approches appropriées de développement local, pour former des compétences, pour échanger des leçons d’expérience, pour transférer de nouvelles technologies, etc. La nouveauté de ce champ de travail, c’est qu’en rupture avec le passé, il ne signifie plus un échange dans un sens Nord Sud. Aujourd’hui le Sud a aussi des réponses à apporter. C’est par exemple de la République de l’Equateur que l’on doit apprendre l’inscription des priorités écologiques dans la Constitution. Ces domaines de travail et d’échange constituent une troisième piste d’action.
Ces intérêts communs plaident pour des réflexions communes des pays de l’Atlantique sur les implications politiques et stratégiques de l’adaptation au changement climatique et pour la mise en œuvre de réponses globales, régionales et locales., à la fois innovantes et solidaires.

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