M. Louis Gautier : Retrouvailles transatlantiques et crises internationales




Les quatre premiers mois de la présidence de Barack Obama sont marqués par une spectaculaire restauration de la relation transatlantique. Le changement de ton et d’attitude de l’administration américaine y est évidemment pour beaucoup.

L’approche des questions internationales par le charismatique 44ème président des Etats-Unis tranche en effet avec la méthode et les orientations données à la diplomatie américaine par son prédécesseur. Dès ses premières déclarations, Barack Obama a entendu rompre avec le style – et même les pratiques- de la politique étrangère de GW Bush, politique caractérisée par l’unilatéralisme des positions américaines, dominée par l’ethnocentrisme du discours des néo-conservateurs à Washington et abonnée à une stratégie de tension des Etats-Unis avec le reste du monde, y compris avec certains de leurs plus anciens alliés.

Le sommet marquant le soixantième anniversaire de l’OTAN à Strasbourg-Kehl, le 4 avril 2009, fut l’occasion de fêter très manifestement les retrouvailles de la communauté atlantique. La profonde déchirure occasionnée par la guerre en Irak, toujours mal cicatrisée au sein de l’OTAN, semblait enfin charmée. Sur la plupart des grands sujets relatifs aux enjeux de sécurité pour l’Alliance on constatait à Strasbourg une ample convergence de vue dont témoigne la déclaration finale des chefs d’Etat et de gouvernement et la mise en chantier d’un nouveau concept stratégique sur le rôle futur de l’OTAN au XXIème siècle. La France officialisait son retour dans le commandement intégré après quarante trois années au cours desquelles se sont succédés divorce puis rapports distanciés, relations tumultueuses et réinsertion mal assumée.

La famille atlantique pouvait ainsi apparaître unie comme jamais et par ailleurs toujours accueillante puisque la Croatie et l’Albanie intégrait alors l’Alliance

Cette impression quasi idyllique ne doit cependant pas faire trop illusion.

L’accession au pouvoir de Barack Obama relance les espoirs d’un progrès et d’une transformation de la relation transatlantique. Mais les dirigeants, quelles que soient leurs intentions initiales, demeurent placés sous la contrainte de la situation interne de leur pays et d’un agenda international qu’ils ne maîtrisent pas complètement, loin s’en faut.

Il est en particulier difficile de savoir aujourd’hui, à un moment où en Occident les agences gouvernementales et multinationales réévaluent de façon pessimiste leurs prévisions pour 2010 quel sera l’impact de la crise économique sur la relation entre les Etats-Unis et l’Europe et plus généralement les rapports internationaux.

-1- Engagés sur fond de crise économique, les premiers mois de la présidence de Barack Obama sont marqués par le rapprochement des points de vue au sein de la communauté atlantique.

A cet égard, on peut se réjouir de la concertation qui a prévalu des deux côtés de l’Atlantique pour faire face aux risques que le système financier mondial ne soit emporté dans la tourmente des subprimes. Mais maintenant que la tempête est apaisée c’est d’économie réelle dont il s’agit et les intérêts de l’Europe ne sont pas nécessairement convergents avec ceux des Etats-Unis, qu’il s’agisse de politique monétaire, de protection des emplois, d’accès aux ressources naturelles. Ce constat n’est pas nouveau mais, à l’aune de la dépression qui guette ou de la décroissance qui s’installe, il mérite d’être réexaminé. En fonction de la durée et de la sévérité de la crise et du type de mesures adoptées pour tenter de l’enrayer, les Etats-Unis et l’Europe peuvent être entraînés sur des chemins séparés. De même, personne ne peut pronostiquer ce que seront les conséquences de cette crise économique sur les relations commerciales entre le nord et le sud du continent américains ou entre l’Afrique et l’Europe.

Dans une économie mondiale où globalement l’Occident est en recul face à la montée de nouvelles puissances, quelle sera la place des échanges futurs dans la zone transatlantique ? Quelles seront les synergies économiques recherchées entre l’Amérique et l’Europe ? et quelles régulations seront mises en oeuvre de conserve à Washington et à Bruxelles, à Paris, à Londres, à Berlin…. ?

La coopération économique a été depuis la seconde guerre mondiale non seulement un gage de prospérité de la communauté atlantique mais aussi un gage de sa stabilité.

L’histoire nous enseigne ainsi que si la relation entre les Etats-Unis et l’Europe a connu depuis 1945 au plan politique bien des différents (Retrait français de l’organisation militaire intégrée, crise des euros missiles….) et des contentieux (Suez, Vietnam, Irak), jamais ces tensions n’ont eu d’impact réel au plan économique. La preuve par l’absurde est donnée par les « embargos politiques » décrétés aux Etats-unis sur les importations de vin, de roquefort ou de foie gras et plus généralement sur les produits français après le « non » à la guerre en Irak. Toutes les analyses montrent que le commerce et les investissements des Etats-Unis vers la France et L’Allemagne ( les deux pays européens les plus ouvertement hostiles à la guerre en Irak) et réciproquement de ces deux pays vers les Etats-Unis n’ont en réalité pas cessé de croître entre 2003 et 2006, tous secteurs confondus, y compris, ironie du sort,….. les parfums et les fromages.

En revanche l’inverse n’est pas vrai. Une dégradation de la relation économique entre les deux rives de l’Atlantique aurait à coup sûr des conséquences majeures sur la solidité politique de la communauté transatlantique. C’est en particulier évident en ce qui concerne le niveau des investissements directs et des placements croisés dans l’une et l’autre économie. De même des restrictions commerciales, ou une baisse des investissements entre le Nord et le sud de la zone atlantique seraient néfastes au climat de stabilité et de coopération qui y règne.

Ce retour aux fondamentaux permet d’inscrire dans sa vraie dimension historique la présidence de Barack Obama sans céder aux effets déformants d’un état de grâce réel mais forcément passager.

L’élection de Barack Obama constitue une bonne nouvelle en temps de crise. Les débuts de sa présidence, encore diaprée de l’éclat d’une victoire haut la main, en confirment pour l’heure les espoirs. Le travail diplomatique entrepris dans les dernières semaines nous a en effet convaincu que le département d’Etat avait bien appuyé sur le bouton reset. Les alliés européens ou israélien ont pu expérimenter un nouveau mode de relation plus à l’écoute et aussi plus franc. La façon d’aborder les problèmes pendants avec la Russie ou l’Iran a changé, elle est moins braquée. Washington a relancé les principales négociations aujourd’hui dans l’impasse (désarmement avec la Russie, dossier nucléaire avec l’Iran, processus de paix israélo-palestinien). Le retrait de la présence militaire en Irak est bien programmé à courte échéance.

Mais ces prolégomènes prometteurs, qu’il faut saluer, ne doivent pas nous inciter à trop d’optimisme, étant donné la rigueur des temps et la très grande viscosité de la situation internationale.

C’est d’ailleurs pourquoi à la veille des réjouissances du sommet de Strasbourg-Kehl, je regrettais publiquement que la normalisation de la place de la France dans l’OTAN ne soit pas précédée d’aucune clarification par les Autorités françaises du rôle qu’elles entendent voir assigné à cette organisation pour l’avenir et plus généralement d’une clarification des positions françaises dans les engagements militaires extérieurs auxquels participent nos forces à côté de celles de nos alliés.

Le simple constat de convergences de vues entre Américains et Européens sur l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran, la question palestinienne, voire sur la nécessité de temporiser en ce qui concerne l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN non seulement ne constitue pas une feuille de route commune mais évite de reposer quelques questions fondamentales sur la nature actuelle du pacte transatlantique.

-2- Le règlement difficile de crises internationales multiples risque cependant, dans les prochaines années, de mettre à rude épreuve la solidarité atlantique

Pour bien relever les défis de sécurité que les pays solidarisés par leur appartenance à la communauté atlantique ou leur proximité politique avec elle considèrent communs, encore faut-il être en mesure de définir en quoi et comment ces problèmes sont véritablement ressentis comme communs. Sinon comme on le voit en Afghanistan, après l’aventure et les déboires américains en Irak, c’est la perception même de ces enjeux par l’opinion et la légitimité des actions entreprises pour y faire face qui se trouvent frappées d’illégitimité. On n’explique pas autrement l’attitude des Européens en Afghanistan, piégés au nom de la solidarité atlantique dans un conflit qu’ils considèrent perdu militairement et dans lequel ils n’entendent pas s’engager plus avant. Pour les mêmes raisons, en dépit des enjeux directs ou indirects considérables pour eux en cas d’échec des opérations en Afghanistan, les pays arabes alliés des américains se gardent bien d’apporter un soutien aux actions de l’ONU et de la FIAS.

Parler de solidarité atlantique implique donc de cerner d’abord quels sont les enjeux et les intérêts qui justifient, aux yeux des pays qui s’en réclament, une défense et des actions communes.

Or, la fin de la guerre froide a eu pour conséquence de saper irrémédiablement les fondements géostratégiques de la communauté transatlantique et, pour l’heure, rien d’aussi solide n’a pu être établi à la place.

Les Européens en l’absence de menace armée dirigée contre eux relativisent au quotidien l’intérêt de l’alliance militaire avec les Américains. L’Alliance n’est plus un dispositif de défense concret contre un ennemi mais une assurance contre un risque hypothétique de conflictualité. L’OTAN n’est plus une alliance militaire que de nom, la défense collective y étant reléguée désormais au second plan. La fin de la guerre froide a aussi érodée l’emprise américaine en Europe. Les priorités (et les soldats) des Etats-Unis ont migré vers le Moyen Orient et l’Asie où les approches des problèmes de sécurité divergent d’ailleurs entre alliés.

La crise géorgienne en août 2008, caractérisée par le peu d’implication de Washington, est d’ailleurs venue souligner que l’Alliance avait, d’une certaine façon, achevé sa double mission historique :

- au temps de la guerre froide, assurer la sécurité de la vieille Europe et cela à n’importe quel prix

- depuis la fin de la guerre froide, contribuer par son extension à la stabilité et à l’unité du Vieux continent.

Désormais l’unité du continent européen est largement réalisée et les extensions futures de l’Alliance ne se feront pas à n’importe quel prix, en tout cas, pas celui du retour à l’hypothèse d’un affrontement possible avec la Russie.

Privé d’ennemi, l’OTAN a perdu de sa nécessité. A cet égard GW Bush avec sa croisade armée contre l’axe du mal à bien tenté de substituer une nouvelle adversité pour recréer de l’unité au plan politique au sein de la famille atlantique mais il a raté son coup, dans la mesure où, pour la plupart des Européens, la lutte contre le terrorisme ne repose pas principalement sur le recours à la force et encore moins un clivage avec le monde musulman.

La communauté atlantique ne peut plus facilement se définir par opposition ce qui la force à se définir à partir de valeurs partagées, d’intérêts communs et pour des raisons positives.

Elle peut se promouvoir comme un ensemble économique avec les limites qui ont déjà été évoquées d’être autant un ensemble coopératif que compétitif.

Elle peut se désigner comme un espace géographique mais il apparaît aujourd’hui aussi absurde de figer ses frontières que de vouloir les étendre. On voit bien ce qui constitue le centre de cet espace mais sa délimitation physique fait moins sens que la globalisation à toute la planète de son action

Elle peut se concevoir comme une organisation politique mais au plan régional l’OTAN a moins de légitimité démocratique que l’Union européenne qu’elle cherche parfois à concurrencer et sur le plan international, y compris pour les pays qui la composent, elle n’a pas la légitimité juridique de l’ONU qu’elle est tentée de court-circuiter.

Elle peut enfin se définir comme une communauté de valeur autour de la défense et de la promotion de l’état de droit, de la démocratie et des droits de l’homme mais à ce titre elle est désormais confrontée à deux dilemmes, en interne et vis-à-vis de l’extérieur.

En interne, non seulement certaines divergences de sensibilité inhérentes à leurs sociétés respectives peuvent conduire à des positions diamétralement opposées (peine de mort, légitime défense, protection de l’environnement, recours à la force armée, laïcité…) mais l’approche américaine stato-centrée et l’approche européenne en partie fondée sur le dépassement des Etats au sein de l’UE causent des différences de vue quant au développement d’un cadre normatif international pourtant inspiré de valeurs a priori communes (CPI, protocole de Kyoto, désarmement). On peut cependant penser, avec la présidence démocrate actuelle, que ces écarts de perception devraient avoir tendance à se réduire.

Vis-à-vis de l’extérieur, la communauté atlantique est confrontée au défi d’un monde à la fois globalisé et hétérogène : un monde qui s’unifie par le développement économique, par la modernisation technologique, par l’accroissement des échanges et par l’uniformisation des modes de consommation mais un monde dans lequel de trop nombreux pays s’opposent à l’Etat de droit, refusent la modernité politique, répugnent au progrès de la démocratie et récusent les valeurs que cherche à promouvoir l’Occident où les tiennent pour inappropriées.

La communauté atlantique, alors qu’elle entend redéfinir le rôle futur de son organisation militaire au XXIème siècle, a d’abord l’impérieux besoin de clarifier son identité, de redessiner ses contours, de consolider ses mécanismes de solidarité, d’égaliser ses points de vues et surtout de ne pas se tromper d’objectifs quant à ses interventions.

Ce travail de refondation s’inscrit cependant dans un calendrier de gestion des crises et des conflits internationaux qui laisse peu de répit. Le crédit de la communauté atlantique et l‘avenir de l’OTAN sont en effet tributaires de la résolution de dossiers redoutables. Dans la gestion des crises ouvertes les Etats-Unis, les pays Européens et leurs alliés doivent apporter davantage de garanties pour la paix et la sécurité mondiale. Ils ne doivent pas apparaître par leurs interventions inopportunes et inefficaces comme des fauteurs de troubles.

C’est pourquoi les retrouvailles transatlantiques de l’année 2009 constituent un moment aussi symbolique que privé de portée réelle si l’on considère l’agenda international qui place les Etats-Unis, les pays de l’Union européenne et leurs alliés de par le monde face à trois grands défis :

- La reprise en main de la situation sur le terrain en Afghanistan et au Pakistan qui s’avère urgente.

- La stabilisation du Moyen-orient qui passe par l’accalmie des tensions avec la Syrie et à l’intérieur du Liban et par une relance fermement cadrée des négociations israélo-palestiniennes.

- Le succès de négociation avec l’Iran et la Corée sur le nucléaire, ce qui implique aussi la reprise d’initiatives collectives en faveur du désarmement et de la lutte contre la prolifération.

Vingt ans après la fin de la guerre froide et les espérances que cet événement fit naître pour la paix et la démocratie, la communauté atlantique se retrouve enlisée dans un conflit au long cours en Afghanistan, incapable d’œuvrer à la stabilisation du proche et du moyen orient, région stratégique pour sa sécurité et sa prospérité et, à la place du monde post nucléaire tant espéré à la disparition de l’équilibre de le terreur, il lui faut redouter que surgissent les affres d’un monde multi nucléaire régressif et dangereux.

C’est au pied de ce mur que se juge aujourd’hui la réalité future de la communauté transatlantique.

Louis Gautier


Louis Gautier est conseiller maître à la Cour des comptes, Professeur à l’université Lyon III.
Il a été délégué pour les questions stratégiques du parti socialiste (2002-2008), conseiller pour la défense de Lionel Jospin, premier ministre (1997-2002) et directeur adjoint du cabinet de Pierre Joxe ministre de la défense (1990-1993).
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment : «Mitterrand et son armée », Grasset, 1999 ; « Face à la guerre », La Table ronde, 2006;, « Table rase », Flammarion, 2008 ; « La défense de la France après la guerre froide », PUF, 2009.

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