M. Papa Ndiaye: La recherche halieutique dans l'Atlantique : facteur de coopération et de solidarité entre nos peuples.


Forum international :
«Pour une initiative Tricontinentale Atlantique»
Skhirat, les 29 et 30 Mai 2009, Maroc

Conférence présentée par :
Mr Papa NDIAYE
Directeur de l’IFAN, Université Cheikh Anta Diop,



La recherche halieutique dans l’Atlantique : facteur
de coopération et de solidarité entre nos peuples.


Introduction

La façade maritime de l’Océan atlantique du Maroc à l’Afrique du Sud est longue de 14.000 km et baigne 29 pays du continent africain qui ont des activités directes ou indirectes sur cette même façade.

C’est une zone qui a une faune maritime extrêmement riche, diversifiée mais fragile, qui nécessite une solidarité et une coopération scientifique soutenues entre nos Laboratoires pour assurer la gestion durable des ressources marine et plus particulièrement de la pêche.

Nous présenterons seulement quelques aspects qui seront enrichis par les honorables participants à cet atelier.

1- Ecosystèmes côtiers de l’Atlantique Ouest

Les écosystèmes côtiers de l’Atlantique Ouest sont caractérisés au nord par la présence de zones d’upwelling saisonnier alors que le sud est thermiquement stable. Ces caractéristiques physiques font de cette zone l’une des régions marines les plus productives grâce aux apports en nutriments d’origine terrigène. C’est pourquoi, les populations côtières sont lourdement dépendantes des écosystèmes de la façade atlantique. Rien qu’au Sénégal, la pêche maritime génère plus de 500.000 emplois et apporte près de 125 milliards de francs CFA, soit 30% des ressources d’exportation du pays. Malheureusement, aujourd’hui avec les effets conjugués de l’urbanisation et de l’industrialisation croissante de la capitale, associés à la surexploitation des ressources halieutiques, tous ces facteurs réunis commencent à affecter profondément la pêche maritime, donc l’économie du Sénégal et cette menace va s’étendre sur la façade africaine de l’Atlantique.

2- Analyse de la situation de la pêche maritime au Sénégal

En 2005, la pêche maritime sénégalaise a enregistré 450.944 tonnes pour une valeur estimée à 117 milliards de francs CFA et en 2006, elle a enregistré des débarquements de l’ordre de 372.688 tonnes pour une valeur commerciale de 120,9 milliards de francs CFA.

Par rapport à 2005, les débarquements ont connu une baisse de volume de 17,4% tandis que leur valeur commerciale accusait une hausse de 2,9%.

La valeur commerciale des produits halieutiques reste relativement constante malgré la baisse importante des débarquements.

En 2006, les exportations sur le marché européen ont accusé une baisse de 28% par rapport à 2005.
L’Afrique absorbe près de 42% des exportations du Sénégal en produits halieutiques. Les principaux pays importateurs de produits halieutiques sénégalais demeurent la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Mali, le Burkina Faso, le Congo, etc. Les exportations vers l’Amérique sont très faibles. C’est pourquoi, cette gestion des ressources halieutiques nécessite des actions solidaires et concertées entre nos peuples et nos chercheurs.

3- Présentation d’espèces du genre Epeniphelus de la famille des Serranidae : poissons intéressant plusieurs laboratoires des pays de l’Atlantique

Cette famille présente plusieurs espèces démersales rencontrées en Afrique de l’Ouest qui sont à l’heure actuelle menacées à cause de leur surexploitation. Ces poissons présentent une évolution très particulière. Ils sont communément appelés « Merous ». Leur dénomination de « fausse morue » par rapport à la morue franche (Gadus morrhua) rappelle ce dernier poisson. Très appréciés pour leur très grande valeur commerciale, ils sont devenus aujourd’hui rares dans les débarquements à cause de la mauvaise gestion de cette ressource et de son exploitation abusive qui demande des recherches approfondies nécessitant des actions concertées avec l’ensemble des pays du circum atlantique.

Son aire de répartition est très vaste, ils sont rencontrés sur les côtes sud de la Méditerranée, dans l’Atlantique, du Maroc à l’Angola.

Mais il y a une autre raison biologique pour laquelle les Epinephelus souffrent particulièrement de leur exploitation abusive. Car ces poissons commencent leur vie en tant que femelles et changent de sexe beaucoup plus tard. S’ils sont pêchés avant qu’ils ne deviennent mâles, cela se répercute de façon drastique dans les débarquements. Ces poissons sont des hermaphrodites protogynes : ils atteignent la maturité en tant que femelles et changent de sexe plus tard.

Dans l’Atlantique, les principales familles de l’ordre des Perciformes concernées par ce phénomène sont les Sparidae (les pageots, daurades, etc.), les Labirdae, les Scaridae et quelques espèces de Gobidae. Le long des côtes atlantiques américaines, tous les Serranidae (Serrans, hamlets, barbiers) sont des hermaphrodites protogynes diandriques. Seule une étude détaillée de chaque population locale portant sur des centaines d’exemplaires représentatifs, capturés à tous les stades de croissance et en toutes saisons, permet de caractériser les changements de statut sexuel et de prendre des mesures adéquates.

C’est pourquoi, la gestion de ces poissons nécessite une coopération et une solidarité entre les laboratoires spécialisés dans la reproduction des poissons, un rapprochement et un échange de publications afin d’élaborer des plans d’action communs.

Ce cadre de solidarité entrant dans notre mission de formation, de recherche et de valorisation des ressources naturelles pour le développement durable, nous a poussés à mettre sur pied un laboratoire mixte international dénommé Laboratoire de Biologie et d’Ecologie des Poissons de l’Afrique de l’Ouest « LABEP – AO » regroupant l’Institut fondamental d’Afrique noire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (IFAN-UCAD), l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), la Commission sous-régionale des Pêches, l’Institut sénégalais de Recherche agricole (ISRA) et l’Université de la Grande Canarie de Las Palmas. Notre volonté d’étendre ce programme de coopération aux autres laboratoires situés le long de l’Océan Atlantique et qui sont intéressés par cette thématique de recherche est constante.

En effet, le cadre de la gestion des ressources naturelles pour le développement durable favorise la création de tels laboratoires surtout dans le contexte actuel où les débarquements des poissons le long de l’Atlantique et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest suscite de nombreuses interrogations quant aux niveaux d’exploitation et de dynamique des stocks de poissons.

En analysant les résultats des captures au Sénégal, dans cette zone géographique, on remarque que la diminution des captures a des incidences économiques, car les pêches représentent l’un des premiers secteurs des États membres de la Commission sous-régionale des Pêches que sont : le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissao, la Mauritanie, le Sénégal et la Sierra Leone.

Les recherches développées au LABEP-AO sont orientées vers la caractérisation des traits biologiques des poissons d’intérêt économique dans les pays côtiers de l’Atlantique (croissance, reproduction), la définition des distributions géographiques des espèces et l’étude des mouvements migratoires et de la connectivité entre les populations. Une attention particulière sera portée à la taille de la première maturité sexuelle des espèces de poissons d’intérêt économique, aux étapes de recrutement, dans les populations adultes et aux phénomènes migratoires de ces poissons.

Ainsi, les problématiques scientifiques concernent à la fois la biologie, l’écologie et l’évolution des poissons d’intérêt économique.

4- Les différents niveaux d’intégration

Avec la coopération au niveau de nos différents laboratoires, nous pourrons caractériser, à terme, les réponses adaptatives des populations et isoler des indicateurs de l'état de ces populations de poissons pour mieux gérer ces ressources partagées par tous les pays de l’Atlantique.

Les modèles spécifiques ainsi que les écosystèmes étudiés dans le cadre du LABEP-AO ne seront pas restreints, même si les recherches seront concentrées dans un premier temps sur les écosystèmes côtiers de l’Afrique de l’Ouest. Nos premières recherches viseront certainement à réévaluer les paramètres biologiques des principales espèces exploitées dans la sous-région de façon à fournir des données fiables pour la gestion durable de nos ressources marines.